"DÉTECTER LES SIGNAUX FAIBLES DE L'ANXIÉTÉ DES SALARIÉS" Analyse de Philippe CAHEN (ISC Paris 74) pour RH&M
"DÉTECTER LES SIGNAUX FAIBLES DE L'ANXIÉTÉ DES SALARIÉS"
L'analyse de Philippe CAHEN, conférencier prospectiviste, auteur de "Méthode & Pratiques de la prospective par les signaux faibles"
Philippe est lauréat du Hall of Fame ISC Paris Alumni.
Cet article est paru dans la revue RH&M numéro 77 d'avril 2020.
Comme la société, l'entreprise est partagée entre les salariés qui participent, acceptent ou s'accoutument au changement, et ceux que ces mêmes changements angoissent. Entre résilience et solastalgie, l'entreprise est ouverte aux principaux courants sociaux.
Si l’on accepte cette dichotomie forcément réductrice, on retrouve les grandes lignes des démocraties actuelles partagées entre le populisme et les démocraties ouvertes. Ces deux termes sont caricaturaux et donc contestables mais ils divisent le monde actuel. Même si l’entreprise est un lieu de confiance des salariés, les perceptions du monde actuel ne s’arrêtent pas à ses portes.
Résilience face aux chocs
Le monde actuel est effectivement un monde qui bouge. Et l’entreprise est un facteur vivant de ce monde, facteur subissant de plein fouet ou entrainant ce mouvement.
Dès lors, l’entreprise qui s’adapte à ces chocs se doit d’anticiper lesmutations profondes. Ceschocsconcernent ses secteurs d’activité, les chocs technologiques et bien sûr les métiers dans l’entreprise, voire le métier de l’entreprise.
Mais l’entreprise est aussi tributaire des évolutions sociales, financières, environnementales et énergétiques. L’entreprise réussit si elle fait ce travail permanent de mise à jour de sa vision, de son futur, afin de ne pas se laisser surprendre.
En partageant cette résilience avec ses équipes, l’entreprise gagne en souplesse, en agilité, en réactivité. Les équipes sont alors les premières parties prenantes.
De la résilience nait l’encaissement des chocs, la faculté d’adaptationet d’anticipation au futur.
Signaux faibles de l’anxiété sociale
Les Gilets Jaunes font partie des anxieux. Selon une étude du Conseil d’Analyse Economique (janvier 2019) les Gilets Jaunes, sont nés d’une absence de socialisationdans leurs communes. La détérioration sociale municipale pèse finalement sur l’emploi et l’employabilité. Une chappe de mal-être s’est abattue sur les communes et a trouvé une part d’espoirs dans les ronds-points, devenus des lieux de socialisation et donc de reconstruction.
Quant aux grévistes des retraites des régimes spéciaux publics qui ont été les moteurs initiaux du mouvement, ils craignent de perdre les avantages acquis dans leurs entreprises. Ce sont les plus âgés qui ont mené les mouvements. A la RATP, les bus et tramway, avec des conducteurs plus jeunes, ont moins fait grève.
La perte des repèresest source d’anxiété. Les plus jeunes n’ont pas été absents face à un monde qui semble leur échapper. Ces mouvements ont été amplifiés par les réseaux sociaux.
Les réseaux sociauxse caractérisent ces derniers temps par un enfermement dans des convictions. Les groupes de conviction éliminent violemment les contestataires. Apparemment ce n’est pas chiffré, mais ces dernières semaines on a souvent constaté des personnes quittant notamment Twitter ou des groupes de Facebook devant l’impossibilité d’exprimer un propos contraire à un interlocuteur violent d’un groupe de conviction. On tombe alors dans l’enfermement social.
La perte des repères, la désolation et l’enfermement mental, la douleur développent l’anxiété sociale, la solastalgie (solus et desolare : la désolation ; -algia : la douleur). Plus couramment, solastalgie est restreinte à l’éco-anxiété.
Or l’anxiété devant les changements climatiques ont des répercussions sur tous les pans de la société, notamment chez les plus jeunes, la génération Z.
La solastalgie est de fait élargie à l’anxiété sociale.Le groupe de solastalgiques s’auto-congratule de ses convictions et s’enferme envers des opinions extérieures.
Résilience vs solastalgie
Non que cette dichotomie soit absolue, mais résilience et solastalgie couvrent bien deux grands aspects des salariésde l’entreprise.
Le premier est tourné délibérément vers la compréhension du marchéet de l’organisation de l’entreprise. Le second exprime la coupe qui existe entre la direction d’une entreprise et ses équipes qui deviennent exécutantes.
Lorsqu’une entreprise ferme et que l’on entend sur le parking «j’ai tout donné pour cette boite pendant 20 ans, et maintenant on me jette», alors l’entreprise a laissé ses salariés s’enfermer mentalement et n’a pas fait preuve de résilience, n’a pas fait preuve de vision, de prospective, et a subi le marché en perdant tout moyen de réaction. Les salariés seront difficiles à reprendre. Or l’entreprise d’aujourd’hui n’est pas qu’un passage, elle est un acteur de vie.
D’ailleurs en tant qu’acteur de vie, l’entreprise en phase d’embauche de générations Millénial ou Z se trouve questionnée sur le but, le sens qu’elle veut se donner notamment face aux changements climatiques et donc à l’environnement et comment l’entreprise y répond, comment elle envisage l’épanouissement de ses salariés. On est là dans un effet halo de la solastalgie. Ces générations sont ouvertes aux questionnements sans en avoir l’enfermement.
Les réponses possibles de l’entreprise
Les réponses possibles de l’entreprise sont multiples. Chaque salarié a sa vie en dehors de l’entreprise. Il faut être à son écoute et capter les signaux faibles cachés, donc non perceptibles qui peuvent faire basculer la solastalgie ou la résilience dans un rejet de l’entreprise. Concernant la solastalgie, il ne s’agit pas de contrer l’enfermement social du salarié, mais le mettre en perspective tant en écoute qu’en réponse. Concernant la résilience, il s’agit effectivement d’épanouir son envie d’engagement, mais il faut être aussi attentif aux freins qu’il émet ou n’émet pas.
Nous retiendrons l’exemple d’une réponse qui se décline en trois temps :
1. La vision de l’entreprise, la prospective, le futur: peu importe le nom donné mais le contenu est de savoir vers quoi se dirige l’entreprise dans les années à venir, sachant que ce travail est mis à jour tous les 2 ans.
2. La rupture des silos de communicationde l’entreprise : les services seront d’autant plus efficaces qu’ils se connaitront et agiront en fonction de leurs complémentarités. Cela contribue à l’agilité donc à la réactivité de l’entreprise.
3. Enfin au niveau personnel, le salarié doit savoir où il se situe et comment il va évoluer – c’est-à-dire que peut être son métier de demain — soit par l’entrainement de l’entreprise, soit par ses demandes personnelles.
Ce regard sur l’entreprise est nouveau et tient compte du salarié dans sa vie sociale en dehors de l’entreprise.
Si l’entreprise a de nombreuses parties prenantes en dehors d’elle-même, elle sait par intuition que le monde extérieur ne s’arrête pas à sa porte. Aujourd’hui, solastalgie et résilience sont une manière de l’aborder.
A propos
La Revue RH&M a été créée en janvier 2001 par Edgard Added, président du groupe RH&M, directeur de la revue et co-auteur du « DRH du 3ème Millénaire ».
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